Yves-Marie Le Guilvinnec
Je suis détective privé, et depuis pas mal de temps. Je suis un loup solitaire, célibataire, et fauché. Je me suis retrouvé en taule plus d’une fois. J’aime l’alcool, les femmes, et quelques autres petites choses. Les flics ne m’aiment pas, mais j’en connais deux avec lesquels je m’entends bien. Mes parents sont morts ; je n’ai ni frère ni soeur, et si un jour je me fais assommer au fond d’une impasse, comme ça pourrait arriver à n’importe qui dans mon métier, comme d’ailleurs à des tas de gens dans d’autres métiers ou même sans métier, personne ne se dira que sa vie a perdu son sens.
J’en étais à mon troisième bourbon, à espérer que quelque chose arrive enfin.
Alors quand ce gars est entré, je me suis dit que l’action allait revenir.
Il m’a raconté sa vie, pas folichonne : il avait été gabier, il avait passé sa vie à naviguer et à chanter. Il y a de longues années, il avait rencontré un marin-poète qui avait écrit quelques chansons, et qui s’appelait Yves-Marie Le Guilvinec.
Puis Le Guilvinec avait disparu, introuvable depuis, présumé perdu en mer. Mais cette explication ne lui convenait pas. Il n’avait pu trouver la moindre trace de son poète, mais il gardait l’espoir. Il voulait en savoir plus, et il était prêt à payer un bon prix.
J’acceptai le défi, malgré les risques qu’il ne manqua pas d’évoquer. Et petit à petit, le déroulement des faits se fit plus clair.
Yves-Marie Le Guilvinec serait né à Trigavou, près de Dinan. Pêcheur sur les grands bancs de Terre-Neuve, cadet d’une famille nombreuse, il vécut sans autre horizon que la pêche à la morue. Il mourut en mer à trente ans, avant de sombrer dans l’oubli.
Je pensais que cela allait me faire quelque menue monnaie rapidement et facilement gagnée. J’allais rendre mes conclusions et empocher mon dû, quand des détails attirèrent mon attention. Tout d’abord Le Guilvinec aurait vécu de 1870 à 1900. C’était quand même il y a bien longtemps, alors que mon client prétendait l’avoir côtoyé. D’un coup il me sembla que les renseignements qu’on m’avait donnés étaient bien louches.
En cherchant plus loin, je découvris assez vite que toutes ces informations n’avaient qu’une seule source, un chanteur qui prétendait être tombé sur un cahier de chansons dans une brocante, un certain François Morel.
C’est sûr, en écoutant ses dires un peu distraitement, ça pouvait avoir l’air de se tenir. François Morel avait ainsi raconté aux quatre vents ce qu’il prétendait savoir sur Le Guilvinec.
Ce qui a permis aux journalistes, décidément pas assez curieux, de le répéter à l’envi : « chinant un jour dans la foire-à-tout de Saint-Lunaire, l’ancien fromager des Deschiens tomba sur une revue piquetée d’écailles de poisson, où figuraient une douzaine de chansons signées Le Guilvinec. Intrigué autant que séduit, il enquêta sur cet auteur compositeur natif de Trigavou et travailla sans relâche à sa réhabilitation ».
Pas de doute, les choses avaient été bien faites. Au point qu’on pouvait lire partout qu’on avait aussi déniché « des lettres émouvantes de sa mère ».
François Morel, sans doute pour donner plus d’épaisseur au personnage, n’avait pas été avare de détails : « Moi aussi, je trouve ce garçon bizarre. Ces textes ont une véritable résonance moderne. Ces écrits font écho à beaucoup de choses que l’on vit aujourd’hui. S’il avait parlé seulement de son époque, peut-être que l’on se serait moins intéressé à son travail ».
À force de lire trente fois les mêmes phrases, je me rendais bien compte que la plupart des auteurs de ces lignes s’étaient contentés de recopier le dossier de presse. Même les libraires sérieux n’avaient pas essayé d’aller plus loin.
Il n’était pourtant pas si difficile de découvrir la vérité.
France-Info avait commencé à écorner la fable, bien timidement mais réellement, en révélant qu’une partie des textes avaient été écrits par François Morel lui-même : « Les textes étant incomplets, François Morel a décidé de les restaurer, d’imaginer des mots et des notes là où il n’y en avait plus ».
Et d’un coup la vérité se fit jour. La farce, car c’en était une, le canular, car c’en était un, tout était dévoilé : « En 2020, livre et disque à l’appui, François Morel nous révélait l’existence d’Yves-Marie Le Guilvinec, pêcheur et auteur de chansons né à Trigavou en 1870 et mort en mer à 30 ans, dont il a découvert le patrimoine au hasard d’un vide-grenier à Saint-Lunaire. Ça ne s’invente pas ? Ben si, et c’est encore meilleur sous la dent, les yeux et les oreilles ».
En effet, c’était beau, mais c’était inventé.
Pour clarifier les choses, François Morel avait même donné une interview, où il « avouait » tout : « en 2017, Gérard Mordillat m’a demandé si, pour la clôture de Ciné Salé, le festival de cinéma sur la mer qu’il organise au Havre […], je voulais bien chanter des chansons de marins […]. Je n’en avais pas dans mon répertoire. Il m’a proposé de reprendre des chansons d’Hugues Aufray ou de Renaud […]. J’ai trouvé plus rigolo d’en écrire […]. Et le jour du spectacle, on a inventé ce personnage d’Yves-Marie Le Guilvinec. Gérard l’a présenté comme l’auteur et les gens l’ont cru. Après on a tiré le fil… ».
Le chapeau de l’article contenant l’interview était d’ailleurs sans équivoque : « Entouré d’une bande de gais lurons, l’artiste chante Yves-Marie Le Guilvinec, un poète et marin breton disparu… et inventé de toutes pièces ! ».
Mon enquête était terminée. Quand j’annonçais au client le résultat de mes recherches, il ne fut même pas surpris. Il se doutait depuis longtemps de la vérité, et il n’avait prétendu avoir connu Yves-Marie Le Guilvinec que dans le but de donner du piquant à mon enquête. Je faillis lui dire que je n’avais pas que ça à faire. Puis me revint à l’esprit l’ennui dans lequel je marinais avant qu’il arrive. Je m’écrasai, empochai son argent, et m’offris un grand Bourbon quand il est sorti. Je l’avais bien mérité… L’histoire était fausse, mais belle. C’est le plus important.
Le live : François Morel "Tous les marins sont des chanteurs" - 6 A La Maison - 11/11/2020
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